Le service public d’orientation menacé de libéralisation

Les officines privées se frottent les mains
vendredi 24 février 2006

Comment pousser les gens à faire appel à des entreprises privées de service ?
En cassant le service public...
L’exemple des Centres d’Information et d’Orientation (CIO)

Qu’est-ce qu’un CIO ?

Les CIO sont des services publics du Ministère de l’Éducation Nationale. 582 CIO (+ leurs antennes) sont répartis sur l’ensemble du territoire : ils reçoivent tous publics (élèves de collège, lycée, étudiant—e-s, jeunes déscolarisé-e-s, adultes...) et sont un lieu d’accueil, d’aide, de conseil et d’information sur les parcours de formation et les métiers.

Leurs personnels (conseiller-ère-s d’orientation psychologues (COP) et directeur-trice-s de CIO (DCIO), assisté-e-s de personnels administratifs (secrétaires et documentalistes), sont des fonctionnaires d’État, leur recrutement et leur formation sont nationaux, leurs missions également. Ce statut leur permet d’informer et de conseiller le public en toute indépendance vis à vis des chefs d’établissements ou des enjeux régionaux et locaux concernant l’insertion.

Les COP, en plus de l’accueil du public au CIO, interviennent dans les établissements scolaires publics de ce secteur, du secondaire aux études supérieures ; assurent, en collaboration avec l’ensemble de l’équipe éducative et médico-sociale, l’information et le conseil en orientation des élèves et de leur famille et ils/elles y assurent ponctuellement un rôle de conseiller-ère technique auprès du chef d’établissement. Pour nous, le conseil en orientation, c’est aider les élèves à trouver du sens dans leur parcours scolaire, les accompagner dans leur prise de décision en leur permettant de prendre en compte les données personnelles déterminantes pour eux-elles.

La spécificité actuelle des CIO est d’être observatoire du système éducatif local, lieu d’accueil et de conseil sur la scolarité et l’orientation. C’est un service de proximité indépendant du marché de l’orientation et de la formation. C’est aussi un lieu de ressources et d’échanges pour permettre le travail en équipe des COP.

L’histoire des services d’orientation montre une évolution de leur rôle et de leur place au sein d’un système éducatif évoluant au gré des politiques éducatives et dans des contextes socio-économiques différents.

L’orientation s’est d’abord appelée « orientation professionnelle » de 1929 à 1964, puis « orientation scolaire et professionnelle » de 1964 à 1971 et enfin « information et orientation ». Les services d’orientation ont toujours été traversés par cette préoccupation de maintenir une unité entre orientation scolaire et professionnelle, entre psychologie et information.

En 1991, les conseiller-ère-s d’orientation obtiennent le statut de psychologue ; ils/elles deviennent alors « Conseiller-ère-s d’Orientation Psychologues » (C.O.P) et sont reconnu-e-s comme psychologues de l’éducation au service des jeunes et de leur famille, sans pour autant sous estimer les contraintes sociales et institutionnelles pesant sur les processus d’orientation.

C’est ce qui les amène à occuper une place sensible, à la charnière entre les aspirations individuelles et la logique d’un système éducatif basé sur le mérite, l’excellence et la sélection. On oublie trop souvent que les COP permettent de rendre plus fluides les rapports sociaux entre les élèves, leur famille et l’institution scolaire.

La crédibilité de leur action passe par une autonomie et une indépendance à l’égard des milieux professionnels. Seul le statut de fonctionnaire d’état garantit une information et un conseil neutres, réellement au service des jeunes et de leur famille. Mais cette autonomie et cette indépendance gênent de plus en plus et cette position délicate en fait des boucs émissaires idéaux d’une utopique adéquation parfaite entre formation et emploi.

Les COP en 2006 (Conseiller-ère-s d’Orientation Psychologues)

Actuellement, il y a environ 4500 COP et DCIO en France. Depuis plusieurs années, leurs missions n’ont cessé d’être alourdies (accueil des ENAF (élèves nouvellement arrivés en France), Option de découverte professionnelle 3h (ODP3), UPI (unités pédagogiques d’intégration, JAPD (journée d’appel de préparation à la défense), dispositifs d’alternance, collaboration avec la MGI (mission générale d’insertion), classes et ateliers relais, prévention des sorties sans qualification, bilans de compétences adultes, VAE (validation des acquis de l’expérience) ...) alors qu’aucune création de postes n’a eu lieu. Aujourd’hui, chaque COP a en charge environ 1300 à 1400 élèves du secondaire aux études supérieures, sans compter l’accueil du public au CIO, et intervient dans 2 à 3 établissements scolaires, en plus de ses permanences au CIO.

Comment, dans ces conditions, assurer un réel travail d’accompagnement de tou-te-s ?

Ainsi, les COP accumulent les reproches :

1 on se plaint qu’ils/elles ne sont pas suffisamment présent-e-s alors qu’ils/elles sont toujours de moins en moins nombreux-ses pour assurer leurs missions ;

2 on leur reproche de ne pas suffisamment connaître le monde du travail, et d’être incapables de conseiller les jeunes sur les métiers qui recruteront demain : mais comment assurer à un jeune que tel métier recrutera dans 4 à 5 ans lorsqu’il/elle finira ses études, alors que les économistes sont incapables de prévoir ces évolutions à 1 ou 2 ans ?

3 certaines branches professionnelles ayant du mal à recruter (bâtiment, hôtellerie-restauration) reprochent aux COP de véhiculer une mauvaise image de leurs professions : il est bien évident que la désaffection des jeunes pour ces métiers est essentiellement due au discours des COP et n’a absolument rien à voir avec les conditions de travail difficiles et les salaires insuffisants pratiqués dans ces secteurs professionnels !

4 les écoles et les entreprises leur reprochent de ne pas « informer correctement » les élèves et leur famille sur leur établissement ou leur branche professionnelle : ceux-ci imagineraient bien les COP comme des « recruteur-se-s », des « placeur-se-s » : on leur fournirait un profil et les COP, au contact d’un nombre important de jeunes, leur « enverraient » ceux qui correspondraient le mieux à leurs attentes, quel que soit l’avis du jeune.

L’orientation ne se réduit pas à l’information sur les métiers

La construction d’un projet scolaire et professionnel s’inscrit dans la durée, il ne doit pas se résumer à placer à tout prix l’élève dans un secteur dit "en tension" au mépris de ses aspirations.

L’orientation ce n’est pas que l’information sur les métiers, ce doit-être un acte éducatif constitutif de la personne.

Ce risque de transformation des COP en « recruteur-se-s » a d’ailleurs été central dans la lutte contre la décentralisation engagée par les personnels en 2003. Alors que le gouvernement et les médias souhaitaient faire passer cette résistance comme une lutte de fonctionnaires pour garder leurs avantages, les COP et DCIO se battaient pour garder leur indépendance de parole : en effet, comment continuer à assurer un conseil neutre et indépendant si leurs missions et leurs conditions matérielles de fonctionnement dépendaient uniquement de la région, et étaient donc soumises aux enjeux économiques et politiques locaux ?

Ce n’est pas en limitant les choix des jeunes à des sections définies par les besoins à court terme d’un territoire donné que la liberté et la démocratie, peuvent s’exprimer. Les COP et DCIO ont dénoncé et refusé les risques d’inféodation aux injonctions des branches professionnelles, calées sur une logique d’ajustement aux supposés besoins économiques à court terme, mais également les risques d’installation d’un service d’orientation à plusieurs vitesses (régions riches, régions pauvres...). C’est également pour cette raison que l’ONISEP (Office National d’Information sur les Enseignements et les Professions) doit rester un office national indépendant à même d’apporter des informations objectives aux jeunes et à leurs familles.

La fin des CIO et des Cop ?

Cette situation, déjà difficile pour les personnels et leur public, ne va malheureusement pas s’arranger : en effet, alors qu’à compter de 2006, plus de 330 COP et DCIO partiront à la retraite chaque année, le gouvernement vient d’annoncer une chute vertigineuse du recrutement : 55 postes ouverts au concours en 2006 (contre 289 en 2001, et 136 en 2005) !!! Dans 5 à 7 ans, le nombre de COP et DCIO aura été divisé par 2 !!! La mort des CIO est programmée, à moins que les personnels ne soient remplacés par des recrutements sur statuts précaires...

La baisse du recrutement vient s’ajouter à la suppression de 50 postes de COP à la rentrée 2005, à la fermeture de plusieurs CIO, et à des conditions de travail qui ne cessent de se dégrader (congés non remplacés, frais de déplacement non remboursés, budgets en baisse vertigineuse...).

De plus, deux rapports viennent d’être publiés sur les services d’information et d’orientation.
L’un, écrit par la députée UMP du Doubs Irène Tharin, est une véritable caricature des services, et démontre une ignorance complète de la part de Mme Tharin de la réalité du terrain et de la profession. Ce rapport n’est que le reflet de choix politiques clairs : libéralisation des services d’information et d’orientation et mise en place de systèmes de formation à la botte des entreprises.

L’autre, rendu par des IGEN, pose un diagnostic assez clair des dysfonctionnements : absence de pilotage depuis de nombreuses années, multiplications des missions sans hiérarchisation, etc. Malheureusement, les solutions proposées ne sont pas à la hauteur : alors que le rapport reconnaît qu’il faudrait multiplier par 3 le nombre de COP afin qu’ils/elles assurent correctement leurs missions, les IGEN qualifient d’irréaliste cette solution, et proposent... de diviser par plus de 2 le nombre de CIO !!!

En Décembre 2005, le Premier Ministre a annoncé la création d’un grand service d’information, d’orientation et d’insertion professionnelle, interministériel. Ce projet, dont nous attendons la publication des décrets autour du 9 mars 2006, entreprend de regrouper au sein d’établissements régionaux tous les acteurs de l’orientation et de l’insertion professionnelle : CIO, ANPE, Missions Locales, Chambres consulaires, BIJ, CIDJ, etc. Le but affiché est d’encourager le travail en réseau, ce qui en soit peut être intéressant. En revanche nous refusons l’idée de guichet unique qui dénaturerait nos missions.

Cependant, le regroupement des CIO avec ces acteurs plutôt centrés sur l’insertion, fait craindre que nos missions ne dérivent vers l’insertion à court terme, et nous contraigne à abandonner notre rôle au sein des établissements scolaires, surtout au vu de la baisse drastique du nombre de COP et DCIO dans les années à venir !

Nous craignons également la disparition des CIO au profit de structures entièrement inféodées aux intérêts régionaux et locaux, obligées de répondre aux supposés besoins économiques à court terme. Pour nous, ce regroupement n’est ni plus ni moins qu’une décentralisation masquée des services d’information et d’orientation, et répond uniquement à une logique de réduction des coûts, dans un contexte de mise en place de la LOLF (Loi Organique relative aux Lois de Finance) !

D’ailleurs, plusieurs CIO se retrouvent déjà dans des situations catastrophiques, où il leur est impossible d’assurer correctement leurs missions.

De par l’histoire de l’orientation en France, il existe deux types de CIO : environ la moitié d’entre eux sont des CIO d’Etat, c’est-à-dire que leur budget de fonctionnement est alloué par les rectorats, l’autre moitié étant des CIO départementaux, les Conseils Généraux assumant leur logement et leur budget de fonctionnement.

Depuis plusieurs années, le budget des CIO d’Etat ne cesse de diminuer : ces CIO sont exsangues : mal logés, certains ne peuvent plus faire de photocopies ou imprimer des documents, ne peuvent plus téléphoner ou acheter la documentation nécessaire à l’information du public, sans compter les frais de déplacement des COP qui ne sont plus pris en charge depuis longtemps, lorsqu’ils vont dans leurs établissements !

Alors que l’on croyait les CIO départementaux en meilleure posture, nous constatons depuis quelques mois que les Conseils Généraux ont déjà entériné le passage des CIO sous l’égide des régions, puisqu’ils mettent purement et simplement les CIO à la porte, quand ils ne refusent pas tout simplement d’assumer leur fonctionnement !

C’est ce qui se passe, dans notre académie, pour le CIO Lyon Rive Gauche, le plus gros CIO du Rhône, situé rue de la Part-Dieu à Lyon, en plein centre ville : le DCIO et les COP viennent d’apprendre que le Conseil Général du Rhône récupère leurs locaux pour y installer la Maison Départementale de la Personne Handicapée (MDPH), et ceci de manière très cavalière, à l’occasion de la visite de pré-installation des dirigeants de la MDPH !!!

La seule réponse du Conseil Général est de proposer un relogement dans des locaux très excentrés, dans le 8ème arrondissement, en dehors du secteur d’intervention du CIO (3ème, 6ème, 7ème et une grande partie du 8ème), et qui plus est, dans des locaux qui ne leur appartiennent pas !!! Quel mépris clairement affiché pour les personnels et pour les missions qu’ils remplissent : cela privera les quelques 250 000 personnes des 3 arrondissements concernés d’un accès au service public gratuit d’information et d’orientation !
Des demandes d’audiences intersyndicales vont être déposées auprès du Conseil Général et du Recteur.

Ce qui arrive au CIO Lyon Rive Gauche n’est malheureusement pas un cas isolé puisque plusieurs CIO en France se retrouvent dans cette situation !


La réforme néo-libérale à l’œuvre

Comment comprendre cette casse systématique du service public d’information et d’orientation ? Comment lire également toutes les attaques contre le service public d’Education dans son ensemble ? (cf. entre autres, la baisse drastique des postes offerts à tous les concours de l’EN) Pourquoi ne pas remplacer les fonctionnaires qui partent à la retraite et provoquer ainsi une désorganisation et un dysfonctionnement complet des services publics dans leur ensemble ?

A l’heure où nos députés européens votent la libéralisation des services, directive Bolkestein, (notamment d’Education), il n’est pas difficile de comprendre que cette casse systématique de tous les services publics encouragera les personnes qui en auront les moyens à faire appel aux services privés payants qui ne manquent pas de se développer (cf. le nombre d’officines privées qui proposent, moyennant 100 à 400€, un « bilan ponctuel d’orientation », là où le service public d’information et d’orientation proposait un accompagnement tout au long de la scolarité et ceci de manière complètement
gratuite)

Précarité, flexibilité et privatisation sont les maîtres-mots de la réforme néo-libérale qui se met en place. Les citoyens qui n’auront pas les moyens de faire appel à ces services payants devront se contenter de services publics étriqués et fonctionnant tant bien que mal avec les moyens dérisoires qui leur seront alloués ! S’ils existent encore !

Nous refusons cette dérive néo-libérale !

L’école n’est pas une entreprise,
l’éducation et l’orientation ne sont pas des marchandises !


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