Courrier de 76 professeur·es des écoles de Lyon 9ème au sujet de la réouverture des écoles

jeudi 7 mai 2020

Adressé à l’IA, l’IEN, le maire du 9ème arrondissement et le maire de Lyon
Objet : Fortes inquiétudes sur la réouverture des écoles le 11 mai

Madame, Monsieur les Inspecteurs,

Messieurs les Maires,

La réouverture des écoles en cours de pandémie nous pose de nombreuses questions. Pour être tout à fait honnête, les sentiments qui dominent parmi les enseignant.e.s sont l’inquiétude et/ou la colère face à ces décisions. Nous souhaitons partager ces questionnements avec vous.

Pour commencer, nous avons été très surpris.e.s d’apprendre par les médias le calendrier de réouverture des écoles, dans le courant de la semaine dernière avant même d’en avoir été informé.e.s par nos supérieurs hiérarchiques. Un calendrier a également été envoyé aux parents, par l’intermédiaire de la Ville de Lyon, avec un exposé de la situation et des mesures prises. C’est donc par des collègues qui l’ont reçu en tant que parents d’élèves que nous, enseignant.e.s, en avons pris connaissance.

Nous sommes également surpris.e.s de constater que les alertes et inquiétudes formulées par l’intermédiaire de nos syndicats enseignants, et dans les CHSCT ministériel et académique aient si peu retenu l’attention de l’institution (et par extension de la mairie).

Nous sommes les premier.e.s à déplorer les impacts du confinement pour nos élèves : décrochages, inégalités sociales et numériques, violences familiales... Tout cela existait déjà ; cela a été renforcé. Ce confinement a été décidé faute de préparation des hôpitaux face à une telle épidémie (austérité, suppressions de lits, de personnels...) et de protections (stocks et usines de masques liquidés). Nous sommes évidemment solidaires du combat des soignants, et plusieurs d’entre nous ont accueilli leurs enfants malgré l’absence de protections.

Aujourd’hui, on nous annonce une reprise progressive à compter du 11 mai. Cette décision appelle nombre de remarques.

D’un point de vue purement sanitaire d’abord :

La conscience professionnelle amène bien sûr les enseignant.e.s à vouloir retrouver leur classe en présentiel, mais pas au détriment de la santé et de la vie de tous. Pourtant, c’est ce qui risque de se passer si l’ouverture est confirmée.

· En effet : nous nous sommes interrogé.e.s d’entendre le ministre de l’Education Nationale, Monsieur Blanquer (en commission de l’Assemblée Nationale), justifier la décision du gouvernement par un avis de l’Académie des sciences d’Allemagne, alors même qu’en France, l’Ordre des médecins, l’Institut Pasteur, l’INSERM - et même le conseil scientifique du 20 avril ! (lire ci-après) - ont fait part de leur désapprobation quant à cette décision, voire ont demandé un report de la reprise en septembre. A leurs voix s’est depuis ajoutée celle du syndicat majoritaire des infirmières de l’Education Nationale (le SNICS-FSU). Sans compter les nombreux avis défavorables de syndicats d’enseignant.e.s à la ré-ouveture des écoles dans ces conditions. Le syndicat des inspecteurs UNSA (SNIA-IPR) lui-même pointe une « décision [qui] soulève de nombreuses interrogations » et une « organisation du travail [qui] risque d’être difficile à mettre en œuvre ».

· Nous craignons que les écoles ne se transforment en bouillon de culture, donnant lieu à une relance de l’épidémie, donc à une nouvelle fermeture des écoles. Certains pays constatent déjà une nouvelle hausse des cas de Covid-19 du fait d’un déconfinement qui semblait prématuré (Allemagne, Japon, Singapour). Prendrez-vous ce risque alors que l’hôpital Necker alerte sur ses craintes d’un développement de la maladie de Kawasaki chez les enfants, et confirme le lien avec le Covid-19 (5 enfants ont été admis à l’hôpital en Rhône-Alpes) ?

Du point de vue de l’organisation du déconfinement ensuite :

· Nous nous interrogeons sur la possibilité d’appliquer les consignes du long et lourd protocole sanitaire reçu ce jour. Comme le pointait la note du Conseil scientifique du 20 avril : « le risque de transmission est important dans (...) les écoles (...), avec des mesures barrières particulièrement difficiles à mettre en œuvre chez les plus jeunes » ; en conséquence de quoi il proposait de « maintenir les crèches, les écoles, les collèges, les lycées et les universités fermés jusqu’au mois de septembre ».

Nous nous inquiétons d’autant plus que la responsabilité des enseignant.e.s pourrait être engagée en cas de contamination (ou pire) en rapport avec une école. D’autant que Monsieur l’Inspecteur d’Académie ne semble pas envisager la fermeture d’une école où un cas de Covid-19 serait signalé.

Monsieur le ministre a dit qu’une école qui ne pourrait pas respecter le protocole n’ouvrirait pas. Mais qui est habilité à le vérifier ? Le CHSCT - dont l’institution ne semble pas écouter les avis ? Notre IEN - non cité dans le protocole ? La mairie ?

· Mais surtout : Sommes-nous vraiment en capacité de respecter un tel protocole à la lettre ? Précisons :

Au regard du niveau d’exigence du protocole, il serait illusoire de faire croire à qui que ce soit que c’est l’Ecole qui redémarre. Non, tout au plus s’agira-t-il d’une extension du service minimum d’accueil, mais cela ne ressemblera en rien à l’Ecole ! Certes, cet accueil aura lieu dans les locaux scolaires, certes, des enseignant.e.s y participeront, mais comment imaginer que le respect, même partiel des directives du protocole sanitaire, permettra de dispenser, dans ces conditions, un enseignement de qualité ?

L’exclusion des Petites-Sections et Moyennes-Sections de maternelle du retour à l’école en sont une illustration particulière. Sans parler de l’organisation échelonnée des entrées et sorties d’écoles qui comptent plusieurs dizaines de familles rien qu’en CP et CM2.

Dans le cadre de ce protocole, une bonne partie de notre emploi du temps serait consacrée à la mise en œuvre des règles sanitaires. Prenons l’exemple du lavage des mains : 8 lavages par jour, 2 minutes par élève, 3 lavabos pour 45... nous vous laissons faire le calcul.

· Pas d’école sans apprentissages et pas d’apprentissages sans une mise en sécurité émotionnelle et psychologique des élèves. Ce qui se profile à l’horizon du 11 mai sera tout sauf rassurant, tant pour les enfants que pour les enseignant.e.s.

Or, nous sommes inquiet.es par ce que ce protocole – par son caractère anxiogène – risque de faire vivre à nos élèves. Le changement brusque du fonctionnement de l’école, organisé autour des gestes barrières, va concentrer toute l’attention des enfants sur le danger. De plus, en réduisant considérablement leur liberté de se mouvoir, après deux mois de confinement, le protocole risque de provoquer des séquelles psychologiques importantes, qui seront plus difficiles à rattraper que le retard scolaire.

Du point de vue scolaire et pédagogique enfin

Nous avons conscience des difficultés pour certaines familles, certains élèves (mêlées bien souvent à des difficultés sociales auxquelles la municipalité pourrait répondre) à faire l’école à la maison. Mais, nous sommes aussi conscient.e.s que la volonté première du gouvernement est de faire redémarrer l’économie et, de fait, permettre aux parents d’avoir une possibilité de garde pour leurs jeunes enfants. Nous ne pouvons nous voiler la face : la structure qu’il veut mettre en place à partir du 11 mai, ne sera pas l’École. Et aucune urgence économique ne saurait justifier la mise en place d’une reprise aussi anxiogène.

· Nous ne pouvons donc pas accepter l’argument que cela favorisera l’accueil en petits groupes des élèves en difficultés scolaires, comme l’a fait entendre le Ministère de l’Education Nationale : Plusieurs familles nous indiquent déjà leur refus de mettre leur enfant à l’école dans ces conditions. De plus, la lutte contre le décrochage scolaire ne s’improvise pas en demandant à des enseignant.e.s de travailler en présentiel ET en distanciel (de ce point de vue, il ne semble pas non plus qu’une distribution de matériel informatique pour les familles à hauteur des besoins soit prévue, afin de suivre au mieux la continuité pédagogique à distance). Enfin, ce n’est certainement pas le mois de juin et ses fortes chaleurs qui en donneront l’opportunité.

· Construire une structure d’accueil et de soutien psychologique avec l’intervention des professionnel.le.s des services médico-sociaux, nous paraît une autre priorité. Elle serait l’occasion de revenir avec les enfants sur la période que nous traversons, de leur permettre de comprendre ce qui se passe réellement, au-delà du sinistre décompte des victimes du Covid-19 et des appels au civisme et à la solidarité qui pourraient leur laisser à penser qu’ils ont une part de responsabilité dans tout ce qui arrive.

Enfin, le principe du « volontariat » laissé à l’appréciation des familles, nous semble être avant tout une précaution garantissant qu’en cas de problème, la responsabilité de l’Etat ne sera pas engagée. Pouvons-nous vraiment parler de volontariat lorsque nombre de familles comptent sur la cantine pour que leur(s) enfant(s) ai(en)t un repas équilibré ? Quand les indemnités professionnelles pour raison de garde d’enfant, et les mesures de chômage partiel sont amenées à disparaître ? Quand les parents sont en fait placés devant cette alternative : risquer de mettre son enfant à l’école dans des conditions sanitaires inquiétantes ou risquer de perdre des revenus, voire son emploi ?

Dans ce contexte anxiogène, nous espérons que vous entendrez notre alerte, que vous saurez répondre à nos interrogations et que vous prendrez les décisions qui en découlent.

Dans l’attente de votre réponse,

Veuillez recevoir, Madame, Messieurs, l’expression de nos respectueuses salutations.

76 professeurs des écoles de Lyon 9ème :

(dont des syndiqué.e.s CGT, CNT, FO, FSU, SUD, UNSA)

Maternelle Chapeau Rouge (9)

Élémentaire Jean Zay (17)

Élémentaire Gare d’Eau (8)

Élémentaire Hector Berlioz (3)

Élémentaire Audrey Hepburn (2)

Primaire Joannes Masset (13)

Primaire Alphonse Daudet (11)

Primaire La Sauvagère (7)

Primaire Chevalier Bayard (3)

Primaire Les Géraniums (2)

Primaire les Bleuets (1)

(avec le soutien d’enseignant.e.s des collèges Verrazane et Perrin et du lycée de la Duchère)


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