Au loup !

vendredi 25 novembre 2016

Depuis des années, bien avant même le 11 septembre 2001, la peur est peu à peu entrée dans les écoles comme si elle devenait une compétence scolaire. Ainsi, en 1982, puis en 1989 et 1995, des protocoles interministériels associent le ministère de l’éducation nationale à celui de la défense et de la sécurité nationale. Les récents attentats ont tracé une autoroute que l’État s’est empressé de prendre. Depuis 2015, les enseignant.e.s reçoivent une nouvelle dose d’injonctions contradictoires : l’école doit être à la fois un lieu de rencontre entre l’institution et les familles, être ouverte sur le quartier et ses structures sociales, impliquer les parents dans la scolarité de leur enfant, être un espace de bienveillance, de confiance et de sérénité... et dans le même temps, l’école doit devenir un bunker moderne sur le qui-vive où tout le monde est suspect, imprégné des horreurs de ce monde, et prêt à se fermer hermétiquement à la moindre menace.

Quiconque est déjà entré.e dans une école, un collège ou un lycée, que ce soit en tant qu’élève, en tant que parent, ou en tant que professionnel.le, sait qu’un établissement scolaire ne peut prétendre être hermétique, à moins de mettre en place les mêmes verrous qu’une prison.

Quels sont les textes ?

Il existe un panel de référents sur la question de la sécurité. En ligne, on peut trouver facilement des documents concernant « l’éducation à la défense » ou « la culture de la défense et de la sécurité nationale », mettant en avant l’aspect pluridisciplinaire de cet enseignement, regroupant des caractéristiques présentes dans les programmes « de la maternelle au lycée », et inscrite dans la mouture 2016 du Socle Commun de connaissances et de compétences... et dont le contenu s’appuie bien plus fortement sur « national » que sur « défense » ou « sécurité ». Les documents d’Eduscol font tous le lien entre cette « éducation/culture » et... le ministère de la défense, dans lequel nos chères têtes pleines de poux pourront – et c’est explicite –, s’engager, pour rendre service à leur pays.

Concernant les protocoles et exercices qu’on nous demande de mettre en place, chaque établissement scolaire tente de faire sa sauce, toutes bien indigestes : des maternelles jouent à cache-cache sous les tables de leurs salles de classe, des collègues d’élémentaire sont invité.e.s à faire chacune le PPMS (plan particulier de mise en sécurité) de leur classe, des collèges font des portes ouvertes mais fermées, des collègues endossent le rôle de terroristes avec panoplie, les parents doivent ouvrir leurs sacs et ne plus se regrouper aux abords des écoles voire même ne plus y entrer... De la même manière, il est maintenant demandé au monde de l’éducation de surveiller les élèves et les collègues dans l’hypothèse d’une « radicalisation » dont la définition reste soit tournée vers une population considérée comme musulmane, soit englobant tout le monde du travail : militant.e.s syndicaux, politiques... (voir dans le Plan d’Action contre la Radicalisation et le Terrorisme, ou le livret Prévenir la radicalisation des jeunes qui s’adresse directement aux chefs d’établissements et équipes éducatives). Dans les faits, les situations les plus abracadabrantes foisonnent, ayant toutes le même fond de peur assourdissante.

Quelles sont nos obligations, en tant qu’enseignant.e.s ?

Il va de soi qu’en tant qu’adultes responsables des enfants dont nous avons la charge sur le temps scolaire, il nous est difficile de « ne rien faire ». Tout comme nous avons des protocoles en cas d’accident, de souci de santé d’un enfant, d’incendie, ou encore de nuage toxique... les établissements scolaires de l’académie de Lyon ont reçu un document présentant la procédure à tenir en cas d’intrusion. Une fois enlevé de notre tête le contexte de terreur, ce document en 3 points est simple (se confiner ou fuir, donner l’alerte, porter secours). Prendre en compte au quotidien l’hypothèse de ce risque particulier ne doit pas nous faire perdre la raison au profit d’une peur panique dont les exercices de Grand N’importe Quoi que nous subissons actuellement témoignent : dans la situation d’un exercice incendie, nous ne mettons pas les enfants dans la situation extrême de ramper contre le sol pour échapper aux fumées toxiques un foulard humide sur la bouche, ou de sauter par les fenêtres pour échapper aux flammes... Quelle est la logique derrière la mise en place de détails sordides pour ces exercices confinement ? Notre responsabilité, c’est de protéger les enfants, y compris contre cette peur irrationnelle que les attentats et leur traitement médiatique ont fait naître chez beaucoup d’adultes.

Aucune sanction n’est annoncée si un.e enseignant.e refuse de se plier à un exercice confinement. Le cadre donné sur le vocabulaire à utiliser auprès des enfants et le climat de confiance qu’il faut maintenir lors de ce type d’exercice, notamment en maternelle, peut en outre permettre de défendre le refus de faire participer ses élèves à ces situations anxiogènes.

Opérons une petite prise de recul politique...

Puisque nous parlons de la sécurité de nos élèves, regardons de plus près les études qui existent sur les risques de mortalité de la population de moins de 25 ans. En France, de 2000 à 2013, les tumeurs et les maladies du système circulatoire totalisent chaque année plus de 10,5 % des décès sur cette tranche d’âge (56 % pour la population dans son ensemble), et les suicides 7,16 %. Pourtant, l’État se désengage de plus en plus du système de santé collectif, les médicaments sont de moins en moins remboursés, les entreprises pharmaceutiques font des bénéfices records et le contrôle des médicaments mis sur le marché s’allège. En parallèle, les dispositifs « sécurité » sont très lourds en terme de temps de mise en place et de finances. Sous couvert de sécurité, on nous demande de fliquer les parents amenant leurs enfants à l’école, de surveiller une « radicalisation » des élèves et même des collègues, on envoie les CRS sur les personnes manifestant pour leurs conditions de travail (manifestations contre la loi Travail) ou on les assigne à résidence, on prolonge l’état d’urgence indéfiniment, on croise partout des militaires doigt sur la gâchette... Tandis qu’on démolit tous les systèmes de solidarité (retraites, sécurité sociale...), tous les garants du droit collectif (code du travail), et qu’on indique à grands coups de massue médiatique une population bouc-émissaire.

La course au tout sécuritaire repose sur des arguments peu légitimes, nous attribue des responsabilités qui ne font pas partie du principe d’éducation, et coûte des milliards aux contribuables. De plus, son efficacité n’est pas mesurable, et son application – on le voit – est complètement farfelue. Les mascarades d’exercices nous prouvent au contraire qu’il est impossible de garder une école fermée sur elle-même, hermétique et silencieuse... et est-ce un mal ? Nous ne sommes pas gardiens ni gardiennes de prison, nos élèves ne sont pas à enfermer et leurs familles doivent être nos alliées au quotidien. Dans une éducation émancipatrice, c’est la peur qui est notre plus grande ennemie.

Alors, que faire ?

Dans l’idéal, l’équipe de l’établissement ou de l’école refuse collectivement de mettre en place ces entraînements à la terreur. Parfois, il suffit d’oser dire que c’est n’importe quoi, que c’est dangereux, que c’est malsain, pour que les collègues osent aussi s’opposer à la mise en place de l’exercice farfelu. Mais si vous voyez que vos collègues endossent avec plaisir le rôle de l’intrus grimé et déguisé, ou votent haut la main les budgets pour la vidéosurveillance, les portiques d’entrée, le fichage... et qu’aucun argument ne les ramènent à la raison, sachez qu’il existe un préavis de grève déposé par la fédération Sud Éducation qui vous couvre : le premier point du préavis fédéral « contre la mise en cause de libertés publiques dans les écoles et les établissements scolaires au nom d’une logique sécuritaire qui s’accompagne de mesures inefficaces, coûteuses, anxiogènes » concerne toute l’Éducation, y compris les PPMS dans le 1er degré.


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